Cath et Serge Yoga, chercheurs en mouvement

J’ai eu le plaisir d’interroger mes enseignants de Yoga Catherine Bellières et Serge Gastineau (Cath et Serge Yoga) sur leur découverte du Yoga, leur cheminement, leur enseignement, leur vision du Yoga aujourd’hui… C’est une interview très riche que je suis heureuse de vous partager. En effet, Catherine et Serge ont eu un parcours très intéressant dans le Yoga et permettent aujourd’hui à de nombreux de professeurs de Yoga, dont je fais partie, de questionner et d’approfondir leur pratique personnelle et leur enseignement. L’interview a été réalisée en septembre 2024.

Votre cheminement dans le Yoga

Béré Yoga : Qu’est-ce qui vous a attirés initialement vers la pratique du Yoga ?

Catherine Bellières : Un beau jour de mai 2010, dans les allées d’un hypermarché, mon destin a pris un tournant inattendu. Attirée par une impulsion inexplicable, je me suis retrouvée dans le rayon des DVD, un rayon que je ne fréquentais jamais. Mes yeux se sont posés sur un titre interpellant : ‘Yoga pour les nuls’. Sans plus de réflexion, j’ai glissé le DVD dans mon panier.
De retour chez moi, j’ai enfilé une tenue confortable et j’ai laissé l’enseignante américaine à la voix douce me guider dans les premières Asanas. Bien que certaines m’aient semblé un peu trop exigeantes, j’ai été séduite par son approche et par le calme qu’elle dégageait. Après une quinzaine de minutes de pratique, une sensation de lâcher-prise m’a envahie, m’entraînant dans un sommeil profond de plus de deux heures.
Par la suite, j’ai poursuivi mon apprentissage en découvrant les DVD allemands d’Anna Troekes, une femme remarquable d’une grande force intérieure. Son parcours, marqué par un grave accident de la circulation et une qualité de vie inespérée grâce au Yoga, m’a profondément touchée. Ses enseignements, bien qu’elle ne travaille pas suffisamment les jambes et les hanches selon notre point de vue, regorgent de précieux conseils.
Depuis cette première expérience, le Yoga est devenu une part intégrante de ma vie. Chaque séance est un voyage vers soi, un moment privilégié pour se reconnecter à son corps et à son esprit.

Serge Gastineau : Lorsque j’étais adolescent, j’étais déjà très intéressé par la spiritualité et par les formes de mystique. Lors d’une retraite dans un monastère Bénédictins, j’ai découvert dans la bibliothèque un livre étonnant : « Yoga chrétien en 10 leçons” écrit par le Père Déchanet. L’idée de combiner Yoga et foi chrétienne était assez surprenant à l’époque.
C’est ainsi que j’ai eu envie de commencer à pratiquer le Yoga sérieusement au début des années 70. En 1975, j’ai eu la chance de rencontrer une enseignante exceptionnelle, Marie-Antoinette Bourdin-Mouray, qui était une proche de BKS Iyengar, un grand maître du Yoga. J’allais souvent l’assister dans ses cours. Grâce à elle, j’ai pu rencontrer des personnalités importantes du monde du Yoga comme BKS Iyengar ou Martine Le Chenic.
Tous les étés, je participais à des stages de Yoga intensifs d’au moins 10 jours avec Marie-Antoinette. C’était l’occasion de me plonger complètement dans le Yoga.

 


B.Y : Qu’est-ce qui vous a poussé à continuer ?

S.G : Ce qui m’a motivé à poursuivre, c’est la dynamique de la pratique dans la tradition de BKS Iyengar, bien loin des clichés d’une pratique statique. Nous travaillions beaucoup les postures debout.
L’approche anatomique rigoureuse, associée à mes propres besoins liés à un accident, m’a offert un cadre idéal pour explorer mon corps et soulager mes douleurs.
En effet en 1972, j’ai été blessé lors d’un accident de la circulation : double fracture du bassin. Je suis resté alité à l’hôpital 4 semaines. À l’époque les soins étaient limités (pas d’ostéopathie). Suite à cela, j’ai commencé à souffrir de sciatalgie et de capsulite à l’épaule.
Mon enseignante Marie-Antoinette m’a ensuite fait rencontrer Jacques Thiébault. Une autre grande rencontre déterminante de ma vie. Jacques fut le premier à me parler des poussées et des appuis, de ces rencontres de poussées dont je parle beaucoup. Il était passionné d’anatomie et un précurseur sur le périnée.
Leurs enseignements m’ouvrirent les portes d’un univers où le corps et l’esprit se rejoignent.

B.Y : Comment votre pratique du Yoga a-t-elle évolué au fil des années ? 

C.B : J’ai initialement embrassé l’approche d’Anna Troekes et j’ai suivi de nombreux cours particuliers à Paris avec un enseignant de Yoga remarquable, également psychologue clinicien.
J’ai suivi un TTC 200h de Hatha Yoga “traditionnel Indien”, avant de me former plus en profondeur avec des personnalités du monde du Yoga et de suivre un enseignement personnalisé en individuel.
Ma pratique personnelle fut très soutenue dès les premières années.  Je pouvais pratiquer le Yoga 4 à 6h par jour, fractionnées en 2 à 3 séances. À l’époque ma vie professionnelle en entreprise me laissait peu de répit et je prenais sur mes pauses déjeuner et mes heures de sommeil pour pratiquer.
Une véritable Sadhana nécessaire pour lever les voiles de mon existence.
J’étais portée par une force intérieure inexplicable.
Lors des périodes de pratiques intenses, aucune erreur n’est pardonnée. Et j’en ai accumulées un certain nombre…  avec des douleurs qui m’ont laissé penser que les Asanas n’étaient plus pour moi. (Douleurs à la flexion des genoux, douleurs aux sacro-iliaques…)
Par chance, je n’ai subi aucune séquelle. J’ai alors réalisé que le Yoga, loin d’être une panacée, pouvait devenir un véritable fardeau si l’on ne l’abordait pas avec discernement. C’est à ce moment précis que j’ai rencontré l’enseignement de Serge, une véritable révélation. En quelques jours, les douleurs de genoux qui m’entravaient ont disparu, laissant place à une mobilité retrouvée. J’ai compris que j’avais enfin trouvé une approche respectueuse du corps.
Convaincue de l’importance de diffuser ces connaissances, j’ai proposé à Serge de partager son savoir avec un plus large public. Ensemble, nous avons décidé de promouvoir une pratique du Yoga plus sûre et plus consciente, prenant en compte la réalité des corps d’aujourd’hui.

S.G : J’ai participé dans les années 89-90 à la rédaction des statuts de la première association française de Yoga Iyengar, mais je me suis rapidement senti en désaccord avec certaines orientations.
Je n’ai donc pas souhaité m’inscrire dans une structure qui ne correspondait pas entièrement à ma vision de la pratique. J’ai alors choisi de poursuivre ma formation de manière indépendante, en suivant les enseignements de Jacques Thiébault, tout en développant ma propre réflexion.
La rencontre avec Dominique Martin, l’un des précurseurs de l’Ostéopathie en France dès 1982, a été un tournant décisif. Ses enseignements ont renforcé et éclairé ma compréhension du Yoga. Au fil du temps, les frontières entre les différentes influences se sont estompées, créant un ensemble cohérent et personnel. J’ai également intégré à ma pratique les principes de l’Intrumentarium Pilates (l’ancêtre du Reformer Pilates), qui m’ont apporté une compréhension plus approfondie du mouvement et de l’alignement corporel.


B.Y : Y a-t-il des moments marquants ou des défis qui ont particulièrement enrichi votre cheminement dans le Yoga ?

C.B : Les douleurs du corps dues aux mauvais placements, aux gestes pathologiques, sont comme des grains de sables dans un engrenage. Elles bloquent, elles grippent les rouages de notre existence. C’est un défi énorme sur soi.
Et quand on peut aider les autres à voir puis à retirer ce sable, on se rend compte de la fragilité de l’édifice humain et des bienfaits d’un Yoga respectueux de l’anatomie.

S.G : Ou des individus en quête d’une réponse, d’une clé pour déverrouiller les portes des limitations ou de certaines douleurs. Des années passées à errer dans les méandres d’un système de santé qui, parfois, semble les laisser à l’abandon. Et puis, ce jour où leur parcours croise le nôtre. Quand les résultats se dessinent grâce à leur implication, c’est le fruit d’une longue quête, d’une persévérance qui force l’admiration.

C.B : Chaque bilan postural Yoga est une révélation. Une plongée au cœur de nos mécanismes les plus intimes, une cartographie précise des tensions et des déséquilibres qui nous habitent. C’est comme si, soudain, un voile se levait, nous offrant un aperçu inédit de notre corps, de ses forces et de ses fragilités. Et cette prise de conscience est un véritable tournant. Nous découvrons alors l’étendue des compensations dont notre organisme est capable, une véritable prouesse d’adaptation.

Lors du plan postural effectué avec Cath et Serge en mars 2023

S.G : La pratique des bilans posturaux Yoga nous confronte à des réalités insoupçonnées du corps. Blessures, blocages, déséquilibres, autant de défis qui nous poussent à approfondir nos connaissances. Les ouvrages de Kapandji, Dominique Martin et de Blandine Calais sont devenus mes compagnons de route, tout comme les échanges enrichissants que j’ai eus avec un Ostéopathe, mon élève. Ensemble, nous avons exploré les subtilités du corps humain, en particulier dans des postures telles que le Supta Virasana, où chaque sensation, chaque tension révélait un aspect méconnu de l’anatomie.

C.B : Le Yoga est un voyage intérieur en constante évolution. C’est un peu comme naviguer sur une mer changeante : les courants et les vents nous portent tantôt vers des rivages inconnus, tantôt nous ramènent à un point de départ. Les doutes sont alors les phares qui nous guident, nous invitant à sonder les profondeurs de notre être et à redéfinir notre rapport à notre corps et à notre esprit.

B.Y : Avez-vous des livres de Yoga de chevet ?

C.B : Si je devais n’emporter qu’un seul livre sur une île déserte, ce serait sans conteste « La Voix de la paix intérieure’ » de B.K.S. Iyengar. Chaque relecture est un nouveau voyage intérieur, une découverte inédite. Les mots de BKS Iyengar, comme des graines semées en terre fertile, germent et s’épanouissent à chaque saison de ma pratique.
Par exemple, la notion d’énergie des éléments (Terre – Eau – Feu – Air – Éther), autrefois abstraite, prend aujourd’hui tout son sens. Les Bija Mantras des éléments (Lam – Vam – Ram – Yam – Ham), ces syllabes vibrantes, éveillent en moi des sensations insoupçonnées lors de la pratique des asanas. Et puis, il y a aussi “L’Arbre du Yoga” de BKS Iyengar et “Etincelles de divinité”, paroles de BKS Iyengar recueillies par Noëlle Perez, ces deux autres ouvrages qui, comme des phares, guident mes pas sur le chemin du Yoga. BKS Iyengar nous offre un enseignement profond, une véritable boussole pour naviguer dans les méandres de notre être.

S.G : Ce sont également ces deux livres, et aussi “Le yoga au-delà de la méditation” de Vimala Thakar.

Serge et Catherine chez eux à Nantes

B.Y : En parlant de méditation, comment l’intégrez-vous dans votre pratique ?

C.B : La méditation imprègne chaque instant de notre pratique car chaque posture est en soi une méditation. J’ai constaté que, même lors des moments de fatigue, un simple Savasana guidé ou une torsion suffit à me revitaliser. Et il m’arrive même lorsque j’enseigne de ne montrer une posture asymétrique que d’un seul côté sans que cela ne me dérange, au contraire, cela me nourrit. Auparavant, j’aurais craint de me blesser en démontrant une posture tout en l’expliquant. Aujourd’hui, j’ai appris à tirer pleinement profit de chaque instant, même en enseignant. Je découvre au fil du temps qu’il est essentiel de se nourrir de sa propre pratique, de vivre pleinement chaque instant. Cette approche, bien que peu conventionnelle, me permet d’aller au-delà des apparences et de toucher à l’essence même du Yoga.

S.G : Initié à la méditation par Daniel Guetault, interprète de maître Taisen Deshimaru, j’ai goûté aux saveurs du Zen Soto. Mais ce chemin, aussi noble soit-il, ne résonnait pas en moi. Car je ne me suis jamais senti contraint à l’immobilité. Même si la tradition enseigne que la méditation est synonyme d’assise, je crois fermement que l’on peut méditer dans chaque instant de la vie, dans chaque mouvement du corps. Un simple étirement, une posture tenue longuement, telle que sur le baleineau de Yoga, peut devenir un moment de profonde introspection, une plongée dans l’instant présent. C’est dans cette présence à soi et au monde que réside, pour moi, l’essence même de la méditation.

Votre enseignement du Yoga

B.Y : Comment votre enseignement a-t-il évolué pour chacun au contact de l’autre ?

S.G : Catherine m’a amené la structure.

C.B : Notre collaboration nous amène une dynamique créative extraordinaire. Je fournis une base de réflexion afin de mettre Serge en situation.
Sa profonde connaissance alliée à son approche expérimentale, crée un espace où la réflexion et la pratique se nourrissent mutuellement. Nous contribuons à diffuser un enseignement d’une grande qualité. Ensemble, nous créons un espace où la théorie et la pratique se rencontrent, où le corps et l’esprit se parlent.
À chaque fois, Serge me surprend par sa capacité à trouver de nouvelles perspectives, de nouvelles façons d’appréhender le corps.
Ensemble, nous explorons sans cesse de nouvelles voies. Notre objectif commun est de transmettre un Yoga vivant et inspirant, de semer des graines.

S.G : Mon parcours atypique, mêlant des études de génie électrique-génie mécanique et l’attrait de la spiritualité, m’a permis de développer cette approche spécifique de Yoga. Grâce à mes connaissances en mécanique, je peux décomposer chaque mouvement en ses composantes élémentaires, identifier les blocages et les corriger avec précision.

C.B : Notre quête est insatiable et je ne nous interdis aucun sujets. Des Chakras aux mécanismes les plus simples du corps, tout est matière à exploration. Nous nous empressons de saisir chaque opportunité d’apprendre et de grandir. Ensemble, nous écrivons chaque jour une nouvelle page de notre histoire, une histoire où la connaissance de soi est au cœur de tout.

B.Y : Comment décririez-vous votre enseignement aujourd’hui en quelques mots ?

S.G : Nous proposons un chemin initiatique, un voyage intérieur qui demande courage et persévérance. Le corps est notre guide, notre professeur. Il nous révèle nos forces et nos faiblesses, nos blocages et nos potentiels. La douleur est un allié inattendu, qui nous pousse à dépasser nos limites et à nous transformer. C’est en acceptant la souffrance que nous pouvons véritablement guérir et évoluer.

C.B : Le corps est notre point de départ, mais pas notre destination. Nous commençons par le tangible, le corps, pour explorer l’intangible, l’esprit. C’est notre pont vers d’autres dimensions. En travaillant sur le corps, nous ouvrons des portes vers de nouvelles dimensions de nous-mêmes.

Serge et Catherine lors d’un séminaire de Yoga

S.G : BKS Iyengar disait : vous voulez de la spiritualité alors donnez-moi votre âme et je la ferai travailler. Mais vous ne pouvez pas me donner votre âme donc donnez-moi votre corps, je le ferai travailler et vous découvrirez votre âme.

C.B : Et c’est la clé. L’enseignement peut se révéler.
La nuit, je sens parfois mon corps se réorganiser en suivant les lignes d’énergie que je perçois dans les postures de Yoga.
Mais si nous restons centré sur quelque chose de trop psychique, nous passons à côté de cela.
Malheureusement un certain nombre de pratiquants peuvent se raconter des histoires en approchant des expériences psychiques ou sensorielles : les exercices de Pranayama mis en œuvre avec trop de force peuvent générer de l’acidose, produisant des effets néfastes pouvant être pris pour des expériences spirituelles. Pour nous, cela n’est pas souhaitable car il y a altération.
Et d’ailleurs, il ne faudrait jamais vouloir obtenir des effets. Il est préférable d’accueillir ce qui arrive, d’observer.

S.G : Ma grande surprise, c’est que la grande majorité des enseignants qui sont venus à la maison en bilan postural Yoga avaient une respiration défectueuse. Ils respiraient à l’envers et tous ont expérimenté qu’ils respiraient beaucoup mieux s’ils étaient mieux placés sur leur aplomb. 

B.Y : Comment gérez-vous les moments où vous traversez des phases de doute ou de grande fatigue ?

C.B :  Eh bien en pratiquant plus. Chaque fois que tu as des difficultés dans ta vie, il faut pratiquer, mais en revenant à la base. Il faut revenir aux choses hyper simples : la balle de tennis, les petites torsions, des petites postures d’équilibre, les quadriceps… Cette approche, enracinée dans la simplicité et la régularité, permet de surmonter les difficultés et d’approfondir sa compréhension du corps et de soi.

S.G : Même dans les postures les plus simples, comme le chat dos rond – dos creux, je fais toujours de nouvelles découvertes.
En explorant les infinies nuances de l’alignement, de la respiration et des sensations corporelles, on sort du simple enchaînement mécanique et on s’ouvre à une pratique plus riche et plus profonde. C’est cette quête constante qui maintient l’intérêt et me permet de progresser, même après de nombreuses années de pratique.

B.Y : Vous vous appelez d’ailleurs des chercheurs en mouvement…

S.G. : L’intelligence du corps ne s’acquiert pas du jour au lendemain. C’est une construction lente et méticuleuse qui nécessite une pratique régulière et une attention soutenue à ses sensations. En interrogeant constamment notre corps lors de la pratique, nous développons cette intelligence qui nous permet d’affiner nos postures et de les adapter à nos besoins individuels.

Ardha Chandrasana par Catherine

Le Yoga aujourd’hui et dans le futur

B.Y : Comment gardez-vous la flamme de l’enseignement après tant d’années de pratique et de de transmission ?

C.B : L’émerveillement est notre fil conducteur. Chaque rencontre est une nouvelle aventure qui nous révèle des facettes insoupçonnées de nous-mêmes. L’enseignement est un miroir qui nous renvoie notre propre lumière, que nous transmettons à notre tour. J’ai reçu un témoignage poignant d’une élève qui, au seuil du grand voyage, m’a confié : « Votre approche du Yoga est mon phare dans la nuit ». Ces mots résonnent en moi comme un appel à poursuivre cette quête. Le jour où je quitterai ce monde, seul mon parcours yogique subsistera. C’est pourquoi je ressens une urgence sacrée à cultiver cette pratique. Les vacances ? Une notion bien lointaine. De temps à autre, je rejoins les miens, mais mon cœur demeure tourné vers l’enseignement.

S.G : Lorsque, lors d’un stage, un éclair de compréhension illumine le regard d’un élève, c’est comme si une fleur s’ouvrait en moi. Cette joie intense nous pousse à partager sans relâche ces trésors enfouis.

C.B : Notre vie est un kaléidoscope où se mêlent intimement la pratique, l’enseignement et l’existence. Les frontières s’estompent, les rôles se confondent.

S.G : Nous cherchons simplement à nous accorder un peu plus de temps pour nous.

B.Y : Finalement le Yoga est tout le temps présent ?

C.B : Oui, tout est orienté Yoga. Dans mes dessins, je cherche aussi les alignements énergétiques, ou si nous jardinons, nous cherchons à nous placer correctement… Tout est toujours ramené à cela en fait. Chaque acte, aussi banal soit-il, devient une quête. Tout converge vers cette quête fondamentale.

S.G : Dans le quotidien nous sommes toujours dans notre corps et dans notre travail. C’est le « priez sans cesse » des religions : il est là.
 Il n’est pas en s’asseyant devant son autel à méditer.
Dans le bouddhisme, on dit “just sit down” : simplement assieds-toi, arrête de te disperser, ok.
Mais quand je vois tous les pratiquants de méditation assis par terre, je m’interroge : tous ceux qui enseignent la méditation sont assis par terre, en rétroversion du bassin. Ils ne peuvent pas respirer pleinement et ils veulent que leur corps médite.
On oublie que la méditation véritable ne consiste pas à dompter son corps, mais à l’habiter en pleine conscience. Un corps mal préparé est un obstacle à la sérénité intérieure.
Ou encore ils interprètent mal les préceptes bouddhistes  – méditer afin que le corps se fasse oublier – mais le corps se fait oublier si on l’a préparé. Sinon il est constamment là avec des fourmis dans les membres, avec des douleurs. Et on va être en méditation dans la même volonté de tenir que si on faisait un marathon.

C.B : Notre société nous pousse à l’excellence dans tous les domaines, y compris dans la spiritualité. Cette quête effrénée de la perfection nous éloigne de l’essentiel : l’expérience immédiate de l’instant présent.

B.Y : Quelle est la leçon la plus importante que vous avez apprise grâce au Yoga ?

S.G : Le souffle, c’est ce que le Yoga m’a offert de plus précieux. J’ai découvert qu’il était bien plus qu’un simple mécanisme vital. C’est un pont entre mon corps et mon esprit, un fil conducteur qui m’a permis de me reconnecter à moi-même. Au fil de ma pratique, j’ai senti mon souffle s’allonger, s’approfondir, devenir une mélodie douce et apaisante. Cette transformation physique s’est accompagnée d’un véritable éveil intérieur.
Le souffle est devenu mon ancrage, mon point d’appui dans un monde en perpétuel mouvement.
J’ai compris que la respiration n’était pas seulement un moyen de vivre, mais aussi une manière de vivre pleinement.

C.B : Pour ma part, il s’agit de la révélation du monde vibratoire. De sa connexion dans les Asanas et dans l’environnement.

Serge pratique Nadi Shodana, la respiration alternée

B.Y : Comment percevez-vous l’évolution du Yoga dans la société actuelle ?

C.B : Le Yoga, jadis voie initiatique. Recherche de l’unité. Le petit soi à la recherche du grand Soi…
S’est transformé en un véritable marché. Un produit de consommation segmenté, étiqueté, etc.
Le Yoga, autrefois un, est devenu multiple, parfois dénaturé par les arcanes du marketing et soumis aux lois du marché.
Cette segmentation, cette quête de la nouveauté ne fait que diluer l’essence même du Yoga.

S.G : Le Yoga, autrefois voie initiatique, est aujourd’hui une industrie florissante. La prolifération des formations, motivée par des considérations économiques, a engendré une expansion de l’offre, au détriment malheureusement souvent de la qualité. On assiste à une véritable dilution de la pratique, où chacun y va de sa petite recette, de sa propre interprétation. Cette banalisation du Yoga, comparable à celle de l’Ostéopathie, risque de le discréditer aux yeux du public. Le fait que le très sérieux RYE (Yoga à l’école) ait perdu en cette année 2024 son habilitation du Ministère de la l’éducation nationale en témoigne. Il devient de plus en plus difficile pour les enseignants de se démarquer dans ce paysage saturé. Seuls ceux qui sauront préserver l’essence même du Yoga, tout en s’adaptant aux exigences de notre époque, pourront sans doute perdurer.

B.Y : Quel projets ou aspirations avez-vous encore dans le monde du Yoga ?

C.B : Je souhaite partager notre recherche sur les fondamentaux du Hatha Yoga. Je viens de mettre en ligne une formation sur les extensions sur support. Mon ambition est de créer une formation rigoureuse et complète, qui explore en détail les mécanismes des postures, qu’elles soient debout ou assises. C’est un travail de longue haleine, mais je suis déterminée à le mener à bien. Cela viendra en complément de notre formation de Yogathérapie de 100h déjà en ligne.
Une fois ce socle établi, j’aimerais coucher sur papier les fruits de nos réflexions, afin de partager notre vision du Yoga avec un public plus large. Tant que mon esprit me le permettra, je continuerai à explorer cette voie, en ajustant mon parcours au gré de mes envies et de mes découvertes.
Ce travail est un véritable voyage intérieur, qui me nourrit autant qu’il me transforme. Et je souhaite partager cette aventure avec tous ceux qui sont prêts à s’engager dans cette voie.

S.G : J’ai le sentiment d’être un gardien d’un trésor ancestral. Un trésor que j’ai reçu et que je souhaite transmettre à mon tour. Je suis convaincu que les principes fondamentaux du Yoga, lorsqu’ils sont bien compris et appliqués, peuvent soulager le corps, apporter une paix profonde et une harmonie. C’est pourquoi je continue à enseigner, avec l’espoir d’aider chacun à trouver sa propre voie.

Un grand merci Catherine Bellières et Serge Gastineau !

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